jeudi 27 septembre 2012

J'ai lu "Un héros" de Félicité Herzog


Félicité Herzog
Un héros

Roman
Grasset 2012



Qu’est-ce qu’un héros ? est la question centrale de ce livre – de ce « roman » puisqu’il porte cette mention – qui pose aussi plusieurs questions : peut-on tout accepter d’un « héros », y compris la destruction de sa propre famille ? Qu’apporte le « roman » à une histoire qui aurait pu être écrite sous la forme d’un journal ou de souvenirs ? Le « héros » est-il d’ailleurs celui que l’on croit ? Félicité Herzog est née en 1968. Son père est un héros. Sa mère descend d’une illustre famille française. Une histoire normale, banale ? Non. Quand on lui dit « tu as la chance d’avoir un père comme le tien » Félicité garde le silence. Elle le gardera longtemps.


« Je ne sais pas si c’était le signe d’une réelle inconscience du mal ou celui d’une grande perversité mais je devinais que l’éclat de son sourire légendaire cachait des reflets plus sombres et qu’il n’était pas l’homme qu’il prétendais. »

La mère est issue d’une grande famille industrielle, noble. Elle se débat entre la révolte contre son milieu et ses amants. Les grands-parents, qui s’occupent souvent des deux enfants du couple bientôt séparé (car « rien de mon père et de ma mère ne se mariera réellement »), ont quelques habitudes un peu « anciennes, surtout celle de ne rien voir, rien dire, rien savoir. » Les apparences… Et comment faire quand « tout projet doit être apprécié à l’aune de l’exploit de l’Annapurna ou de la grandeur des Schneider » ? Car le père – Maurice Herzog prend également beaucoup de place.

Maurice Herzog fut l’un de ces « conquérants de l’inutile », et il avait l’air « apaisé, revenu de tout ». Comment résister à ce père qui « incarnait pour nous un être fabuleux » ? Pourtant, très vite, « la constatation me vint simplement à l’esprit qu’il mentait. » Le mensonge est sans doute à la base de tout ce qui suivra la tentative de l’Annapurna. L’échec ne pouvait être envisagé, pour des raisons politiques et de société. Il ne pouvait donc y avoir que la victoire, fut-ce au prix d’une « compromission finale avec la vérité » Tout ne pouvant être dit, ou entendu, le retour de l’expédition fut triomphal. L’événement devint un mythe national. Que pèsera, dans la vie de Maurice Herzog, le mensonge de l’ascension de juin 1950 ? Si mentir une fois conduisait à la gloire, à quoi bon ensuite dire la vérité ? Quand on écrit « d’égal à égal, je dialoguais avec les 8000, les géants qui m’entouraient », et que tout le monde applaudit, comme soigner sa mégalomanie ? Quand toutes les femmes sont à vos pieds, comment retrouver le sens de la famille ? Alors, ce père alpiniste est-il un héros ?

Son « talent de feindre », mais aussi ce « désir inextinguible de sublimation à travers le regard des autres » empêchera toujours ce père d’avoir des relations familiales normales. Il « néglige son entourage sans jamais avoir le sentiment d’avoir fait mal puisque la société le juge si bien. » Et si la fille du héros semble être sortie de la terrible et pesante vie proposée par son père, il n’en est pas de même pour Laurent, le frère ainé. Laissons au lecteur la découverte de moments et de relations familiales encore plus violentes et terribles. Et finalement de découvrir le vrai « héros » du récit.

Récit intimiste, récit de souvenirs, avec un style dépouillé, parfois grinçant, posant des questions sur la vérité et le mensonge, sur la cohabitation de deux mondes, Un héros est un roman d’une grande force qui ne laissera pas indifférent.

Les premières lignes : « Toute ma vie j’ai été dépossédée de mon père par les femmes. Le processus commença par les filles au pair, un lent manège d’Anglaises et d’Autrichiennes, qui apparaissaient puis disparaissaient sans explications. Lorsqu’il était à la maison, événement formidable, il passait le plus clair de son temps à étudier leur ballet avec une attention soutenue puis à répondre à leurs doléances jusqu’à la saison des soupirs, puis à celle des pleurs dont j’aurais pu calculer le cycle avec autant de précision que pour le calendrier lunaire. »

Félicité Herzog est née en 1968. Un Héros est son premier roman.

samedi 15 septembre 2012

J'ai lu "Aux armes défuntes" de Pierre Hanot


Pierre Hanot
Aux armes défuntes

Éditions Baleine 2012
16€

La première partie de Aux armes défuntes, roman de Pierre Hanot, commence par un voyage, en 1948 dans le port de Marseille. Polmo (abréviation de Paul-Maurice) embarque pour l’Indochine. Polmo n’a pas beaucoup de culture, « il savait vaguement que là-bas, plus loin que l’Afrique, les gens bouffaient du riz avec des baguettes. » Polmo a raté le début de sa vie de militaire en étant prisonnier des Allemands. Il n’a pas pu tirer un coup de feu. Il a bien l’intention de se rattraper avec les Viets. A Port-Saïd, durant une escale, il se forge l’opinion que l’Égypte est un repaire de brigands, et tombe amoureux d’une entraîneuse. C’est l’aventure. « Par la magie du voyage, il était Surcouf le corsaire, la planète applaudirait ses exploits, l’aventure coucherait dans son lit. » Après seize jours de navigation « vertigineuse de crasse et d’inconfort » la troupe débarque en Cochinchine. Là, Polmo attend la vraie guerre au mess, un endroit minable avec un ventilateur HS, « les mouches copulaient sur les pales immobiles en toute quiétude. » Chez l’aumônier ça n’est guère mieux : « Mon Père, osa Polmo, j’ai abandonné la femme de ma vie en Égypte… Absolution, mon fils ! Lundi nous irons au bordel. » Polmo n’aura pas le temps d’aller voir : vient l’heure de l’accrochage dans la clairière. Dernier voyage. Polmo est tué.

Polmo est mort. Mais la deuxième partie, qui débute en 2109, exploite quelques possibilités scientifiques encore à l’état de théorie en nos années 2012, pour le ramener à la vie. « Cent-quatre-vingt quatorze berges, c’est tout, sauf raisonnable. » Surtout dans un monde qui n’est pas gai. « Les mouettes se posent pour agonir, gavées de mercure ou de capsules de plastique. » La France est « ensevelie au tombeau de la sénescence. » Et Polmo, qui avait été un meneur d’homme un peu raciste sur les bords, se retrouve moins que rien dans un monde de castes, dirigé par les Dominants retranchés sur l’Ile d’en haut, avec les femmes, denrées rares. Sur l’Ile d’en bas : le menu peuple… Maintenant, « l’étranger, c’est lui, en expiation. »

On n’en dira pas plus. Il faut découvrir ce nouveau monde créé par Pierre Hanot, peuplé de personnages plus incroyables les uns que les autres, et qui fait avancer une histoire dont on retrouve des bribes et des idées dans la mythologie (Cerbère, saint Georges terrassant le Dragon), dans les grandes tragédies (les bagnes), dans les grands romans (Robinson, Dante et son Enfer). On passe d’une théorie psychologique à un refrain de musique punk ou de « fucking rock », de la fabrication d’une pagaie à l’utilisation de gadgets à la James Bond. Tout ça est délirant, déjanté. On dirait un opéra-rock. Mais de « fucking rock » !

Ce récit est porté par la gouaille et l’incroyable verve de l’auteur – que l’on devine assez « remonté » contre quelques illusions et vendeurs d’illusions de notre monde, et bien différent d’un mouton qui suit le troupeau… Le style est simple, rythmé, efficace. Le vocabulaire est précis, parfois même soutenu. Quelques concepts historiques et philosophiques sont revus et corrigés, et cette histoire incroyable avance à toute allure avec beaucoup d’humour, souvent grinçant, avec pas mal de jeux de mots, parfois inégaux, et aussi avec beaucoup de poésie (au sens « moderne » hein, Hanot n’est pas Lamartine…) On rentre petit à petit dans cette histoire complètement déjantée et de plus en plus abracadabrantesque, dans ce roman de l’inversion des valeurs, court, violent mais burlesque, délirant, avec une mayonnaise qui prend bien. On en ressort haletant, rincé, essoré.

Les premières lignes : « A l’heure de la sieste, les rues étaient exsangues, Marseille ne bourdonnait plus que par son port et sur les quais, les bidasses embarquaient dans la pagaille. Peuchère, en ville, la guerre aux portes de la Chine, tout le monde s’en battait l’aïoli. A peine pansées les blessures, on venait de survivre encore une fois aux fridolins, pourquoi donc se soucier des conflits à venir, surtout pas de celui-ci, à des milliers de kilomètres, aux extrémités de l’Orient, aux confins de nulle part…»

Pierre Hanot a été et est maçon, romancier, routard, musicien, professeur d’anglais, poète, chanteur, guitariste. Avec son groupe Parano Band il a beaucoup joué dans les prisons. Plusieurs romans ont été publiés dont Les Clous du fakir, prix Erckmann-Chatrian 2009.

Site de l'auteur > http://www.pierrehanot.com/ 

J'ai lu "Les Vents de Vancouver" de Kenneth White

Kenneth White Les vents de Vancouver, escales dans l’espace-temps du Pacifique Nord Kenneth White nous a déjà emmené dans des contrées ...